Faire avec ou l’art de lutter contre le mal logement
Rencontre avec Clothilde Buisson de Faire avec
« FAIRE AVEC » pas besoin d’expliquer très longuement ce nom évocateur pour comprendre la mission de ce collectif. Quoique. Faire avec les bâtiments existants et faire avec les matériaux existants bien sûr, mais leur démarche va en réalité plus loin : faire avec les habitants. Rencontre avec un collectif en passe de devenir un cabinet d’architectes visionnaire dont les valeurs résonnent fort avec les nôtres.
Ré : Pouvez-vous nous raconter comment est née votre collectif ?
Clothilde : « C’est d’abord une histoire de rencontres. Avec mes associées, Gwenaëlle, Clara et Elia nous travaillions dans le même espace de coworking. Gwenaëlle, architecte, avait déjà commencé à changer sa pratique pour réduire le gaspillage sur ses chantiers. Clara était en plein doctorat : elle étudiait le rôle de l’architecte dans les centres d’hébergement d’urgence. Quant à Elia et moi, nous sommes aussi architectes de formation, nous avons fait nos études et travaillé ensemble et nous nous intéressions au réemploi depuis quelques années. Ce qui nous a rassemblé ? L’incompréhension voire la révolte de constater qu’il y avait des chantiers dont les bennes se remplissaient de matériaux neufs alors que de nombreux logements insalubres restaient à rénover. Ensemble on a eu envie de répondre à la question : comment réduire le gaspillage dans le secteur du bâtiment tout en créant des projets à haute valeur sociale ? »
« Même sur des projets sous pression de temps, on arrive à inclure du réemploi. »
Clothilde Buisson
Ré : Comment a démarré le collectif ?
Clothilde : « On a commencé à parler sérieusement du projet fin 2016. Et nous nous sommes lancées dans un premier appel d’offre qui nous a permis d’éclaircir et de consolider notre démarche. On a avancé doucement et, un an et demi plus tard, Faire Avec est né. Nous sommes 2 à temps plein et 2 à temps partiel avec, parfois, de précieuses aides de collaborateurs qui viennent nous prêter main forte. »
Ré : Qui étaient vos premiers clients ?
Clothilde : « Nous avons d’abord travaillé avec le Comité Action Logement pour réhabiliter un local en bureaux, espace d’écoute et de conseil juridique pour les personnes en situation de mal logement dans le 18ème arrondissement de Paris qui a été livré en mai 2020. En parallèle, nous avons reçu un beau coup de pouce : le prix de la fondation Cognacq-Jay catégorie Vision en 2018 et une mise en lumière par Emmanuel Moreau sur France Inter qui nous a fait connaître et nous a permis de faire beaucoup de rencontres. On a enchaîné sur la transformation d’un musée en centre d’hébergement d’urgence pour l’Armée du Salut, livré en mars 2020. Nous continuons à travailler avec eux sur de nouveaux projets à venir. »
Ré : Du coup comment faites-vous pour inclure le réemploi dans vos chantiers ?
Clothilde : « Aujourd’hui, je suis chargée de repérer les stocks sur les chantiers de démolition. En fonction de ce que je trouve, soit nous adaptons le projet aux opportunités, soit nous cherchons des éléments précis en fonction de nos besoins, avec un peu plus de souplesse. Ce qui rend les choses un peu complexes c’est que nous n’avons pas d’entrepôt, on ne peut donc pas stocker de matériel d’un chantier à l’autre. Evidemment on s’adapte, nous essayons d’abord de récupérer un maximum de matériel sur le chantier lui-même et d’y dédier un espace de stockage tampon. »
Ré : Et comment faites-vous pour inclure les habitants dans vos projets ?
Clothilde : « Notre plus belle réussite d’implication des habitants a eu lieu pour le projet d’étude pour Emmaüs où l’on a pu échanger avec une cinquantaine de personnes. La maquette du bâtiment que l’on avait installée sur place a suscité de l’intérêt et a permis de lancer les discussions. Nous avons également fait appel à une danseuse chorégraphe et un photographe pour travailler autour de la perception de l’espace et de la mémoire. Enfin, on s’est lancé dans le porte à porte avec nos questionnaires pendant près de 3 mois. Pour nous c’était important d’avoir le point de vue des habitants et de l’équipe sur site. Ils ont pu s’exprimer sur les scénarios proposés au cours d’une restitution que l’on souhaitait partager avec ceux qui décident et qui payent. L’étude est livrée, on verra ce qui en découlera ! »
Ré : Comment gérez-vous les relations avec les maîtres d’ouvrage, sont-ils particulièrement sensibles à votre démarche ?
Clothilde : « Oui, il y a une vraie culture de la récup’ dans le milieu associatif, notamment par la récupération de mobilier par le don. C’est plutôt l’inverse que pour le secteur privé où il faut convaincre : on est venu nous chercher justement pour appliquer cette démarche. Car même sur des projets sous pression de temps, on arrive à inclure du réemploi. La logique est différente avec les artisans qui sont parfois réticents à aller chercher un matériau existant quelque part, alors qu’ils en ont dans leur stock. On peut aussi s’adapter à ça, comme dans le dernier projet de centre d’hébergement où l’entreprise générale a été sollicitée sur son propre stock en premier lieu. »
Ré : Comment gérez-vous les contraintes règlementaires liées au réemploi ?
Clothilde : « Nous sommes sur des projets dont la règlementation est relativement souple (norme logement ou ERP 5ème catégorie) et nous permet d’expérimenter. Sur les éléments sensibles (comme les panneaux coupe-feu par exemple) on achète le matériel pour limiter la complexité, notamment dans les échanges et négociations avec le bureau de contrôle. Notre atout aussi c’est que l’on utilise beaucoup de surplus neuf. Cela facilite les choses d’un point de vue règlementaire, mais surtout cela permet de positiver le concept de « déchet » et d’éviter la stigmatisation des habitants. Aujourd’hui il y a même des matériaux neufs qui sont jetés. On priorise ce sourcing. Pour un de nos projets on a ainsi pu récupérer 250 m2 de carrelage dont du Versace ! »
Ré : Quels sont vos projets ou rêves pour dans 10 ans ?
Clothilde : « D’ici 10 ans, j’espère que l’on aura mené à bien plein d’autres projets et d’autres collaborations, que l’on réussira à toujours mieux travailler avec les habitants et intégrer une dimension recherche à notre démarche. Notre fil conducteur c’est l’amélioration du cadre bâti, donc j’espère aussi que l’on aura réussi à diversifier notre approche, à passer de l’hébergement au logement par exemple et à réaliser d’autres projets comme la ressourcerie ou le jardin permaculturel sur lesquels nous travaillons en ce moment. »